Un carnage. Sept cadavres déjà froids retrouvés sous les arbres, dans les fossés, au milieu des poireaux dans le potager. L’un a été décapité.
Pas un seul survivant.
Le coupable est en cavale. L’enquête piétine. Le procureur a déclaré qu’il ne ferait aucune déclaration. Il appelle néanmoins la population à garder son calme et à éviter tout amalgame.
En l’absence d’élément formel, impossible selon lui de connaître le mobile de l’agresseur. La piste terroriste est toutefois écartée.
Les voisins ont voulu exprimer leur solidarité en organisant une « marche blanche ».
« On ne les fera pas revenir, mais l’important est de tirer des leçons de cette tragédie », a déclaré un voisin qui souhaite rester anonyme. « Il faut agir pour que cela ne se produise jamais. »
Selon le maire de la commune, « Tout ce sang versé donne une très mauvaise image de notre ville. Mais les gens doivent savoir que ce n’est pas représentatif de notre commune paisible et sans histoire. »
Reste que la famille Dupuis est lourdement affectée par le sauvage assassinat de Nicole, Jacquotte, Coccinelle, Rosalie, Bergamote, Cerise et surtout, notre bien-aimé Elvis, roi du poulailler.
Sans interférer avec la justice et sans stigmatiser personne, il me semble malgré tout que l’identité du coupable fait peu de doute :
Ce faisceau d’indice m’a donc conduit à porter mes soupçons sur l’individu ci-dessous, dont je tairai néanmoins l’identité par respect de la loi sur la présomption d’innocence.
On entend souvent dire que l’homme est le seul animal qui tue pour le plaisir, les animaux étant censés se contenter de tuer ce qu’ils sont capables de manger.
Mais il semble y avoir de regrettables exceptions à cette règle.
Le biologiste néerlandais Hans Kruuk a créé le terme « meurtre en surplus » ou « syndrome du poulailler » pour désigner le comportement répandu chez les prédateurs de tuer beaucoup plus qu’ils ne peuvent manger.
C’est un comportement que l’on retrouve chez les ours, les lions, les léopards, les loups, les renards, les hyènes, les blaireaux, les chiens, les chats, mais aussi chez une masse de tout petits animaux comme les acariens et le zooplancton.
Le phénomène se produit constamment et il est rare bien sûr qu’on ait l’occasion d’en mesurer l’ampleur puisqu’ils se produisent dans la nature sauvage.
Des chercheurs canadiens ont toutefois découvert les corps de 34 jeunes caribous tués par des loups sur une surface de 3 km2. Ils n’en avaient mangé aucun. [1]
En Australie, un seul renard a tué en quelques jours onze kangourous (wallabis) et 74 pingouins sans en manger un seul.
Dans la province du Cap en Afrique du Sud, un léopard a tué 51 moutons et agneaux d’un seul coup [2] !! Deux félins (des caracals) ont tué 22 moutons en une nuit, et n’ont mangé qu’un petit morceau d’une cuisse d’un seul mouton. [3] Un groupe d’hyènes a tué 82 gazelles et grièvement blessé 27, pour n’en manger que 12. [4]
En mars 2016, 19 cerfs morts ont été retrouvés tués par une meute de loup, qui n’en avait mangé aucun. [5]
Mais sans aller si loin, tout propriétaire de chat connaît la tendance de ces animaux pour tuer sans raison apparente, autre que de s’amuser ou « répondre à leurs instincts » :
Les chats domestiques aiment attraper les oiseaux, les lézards, les grenouilles, les mulots, même lorsqu’ils sont bien nourris. Une étude menée aux Etats-Unis a calculé qu’un chat domestique se promenant à l’extérieur tue en moyenne une proie toutes les 17 heures. Ils ne rapportent qu’un quart de leurs proies à la maison.
A l’échelle du pays, cela ne représente pas moins de 4 milliards d’animaux par an, dont 500 millions d’oiseaux. Selon le Dr. George Fenwick, président de l’association de protection des oiseaux (American Bird Conservancy), « les chats sont une des causes qui explique le déclin d’un tiers des espèces d’oiseau en Amérique ». [6]
Quant au renard, il ne mange que 300 g à 600 g par jour. Quand bien même il aurait tué nos poules pour se nourrir, une seule aurait dû lui suffire pour pratiquement une semaine, car elles pesaient chacune environ 2 kg…
Les experts expliquent qu’il tue ainsi tant d’animaux car il acquiert ainsi une « précieuse expérience de chasse ». Il s’entraîne, donc… Dommage qu’il ne puisse pas s’entraîner avec des poules en argile.
On l’oublie si vite, dès qu’on cesse d’élever soi-même des animaux ou de cultiver ses propres fruits et légumes, mais la Nature est cruelle !
Bien souvent, les images idylliques de ce que nous appelons la « Nature » sont des paysages fleuris et arborés qui ont demandé à l’homme un travail inouï.
Nos campagnes si riantes sous le soleil avec leurs haies, leurs prairies, leurs ruisseaux bien dessinés, leurs troupeaux, sont le fruit du travail de centaines de générations de paysans qui ont défriché, drainé, dépierré, aplani, amendé, irrigué, désherbé et enrichi la terre.
Nos forêts elles-mêmes sont surtout belles lorsqu’elles sont bien entretenues ; quand les plus beaux « sujets » ont été soignés, mis en valeur, pour manifester toute leur majesté :
Bref, la vie naturelle semble difficile à pratiquer naturellement.
Si l’on veut par exemple manger de bons œufs biologiques de poules qui ont gratté la terre et vécu la vie rêvée dans la nature, encore faut-il être plus vigilant encore que nous !!
C’est là tout le paradoxe des produits « naturels ». Il faut savoir se battre – et surtout se défendre ! – pour y avoir accès.
Ça n’a jamais été facile pour personne. On fait beaucoup de rêves, comme Perrette et la pot-au-lait, mais souvent, on récolte peu. Les prédateurs, les oiseaux, les insectes, et plus encore les champignons, bactéries et virus qui attaquent nos animaux d’élevage, nos légumes et nos fruits, prennent la meilleure part.
Je m’en vais donc refaire mon grillage. Cette fois, je vais l’enfoncer (encore plus) profondément. Le faire monter encore plus haut. Doubler le fil électrique.
Puis j’irai racheter des poules et un nouveau coq. Cela va me prendre quelques semaines avant de pouvoir à nouveau manger mes œufs, et remettre en route des portées de poussin qui assureront la succession des générations.
D’ici là, retour à la réalité, je retourne acheter mes œufs chez Carrefour… mais sans abandonner mes rêves.
A votre santé !
Jean-Marc Dupuis
Sources de cet article :
[2] Stuart, C. T. (1986). “The incidence of surplus killing by Panthera pardus and Felis caracal in Cape Province, South Africa”. Mammalia 50 (4): 556–558.
[3] Skinner, J. D. (1979). “Feeding behaviour in Caracal Felis caracal”. Journal of Zoology 189 (4): 523–525.
[4] Mills, L. Scott. Conservation of wildlife populations: demography, genetics, and management (2nd ed.). Hoboken, NJ: Wiley-Blackwell. p. 148.
[5] Wyoming wolf pack kills 19 elk in rare ‘surplus killing’
[6] New Research Suggests Outdoor Cats Kill More Wildlife Than Previously Thought
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“D’ici là, retour à la réalité, je retourne acheter mes œufs chez Carrefour… mais sans abandonner mes rêves. ”
Ne serait-il pas préférable d’acheter vos oeufs chez Biocop ou au marché plutôt que chez Carrefour où le bio risque d’être industriel plus que bio?
je suis désolée pour vos poulettes et leur roi, maître coq.. En vous lisant j’ai été prise d’une montée de sourire, pour votre humour malgré le désastre, l’assassinat de votre famille de poulettes. Condoléances et faites attention à maître renard dorénavant! Cordialement
eve jeandel
Bonjour,
je tiens à préciser que vous concluez rapidement et sans reprendre les multiples études sur le comportement des prédateurs :loups, renards, et autres
Alors en face de tous vos exemples il est facile de trouver un contre -exemple.
La nature a ses lois et nous devrions bien souvent les respecter.
Bien-sur apprenons ou ré-apprenons les lois de la Nature.
Ne dîtes-vous pas la même chose dans la lettre!
Sincères condoléances attristées. Mais la vie continue. Cela vous prendra du temps pour retrouver ce qui faisait votre joie…et votre petit déjeuner, mais la vie continue. Courage !!
Je compatis à ce qui vous arrive, ayant perdu – il y a 9 ans mais j’en suis toujours triste – d’un arrêt cardiaque un adorable coq, doux et sociable : il picorait avec douceur dans ma main, ce qui n’est pas le cas de certains volatiles rapaces, il caquetait pour appeler la poule quand il trouvait quelque chose d’intéressant à manger (araignée par exemple !). Après sa disparition, la poule s’est mise à caqueter aussi … mais pour m’appeler lors de ses propres découvertes. Pauvre poule que j’ai retrouvée un matin, la tête mangée par une fouine qui procède… Lire la suite »
L’enquête a été bâclée !! Un autre suspect est plus plausible: la fouine. Elle aime tuer pour le plaisir et laisse toujours ses proies sur place, elle ne les mange pas. Elle se faufile partout, aime les endroits à côté de lieux humides.
Il faut trouver des indices pour condamner le bon suspect!!
Pour l’instant, il faut privilégier la prudence et rentrer les futures victimes le soir et fermer à double tour.
Courage!!
Voilà une jolie mais désolante “histoire naturelle” … Sauf pour la conclusion ! Vous n’avez pas honte d’aller acheter vos oeufs chez Carrefour, qui vend quelques produits de qualité biologique (c’est mode) mais empoisonne la planète (pour toujours plus de profits pour actionnaires) au lieu d’acheter tout bio chez Biocoop qui promeut la préservation de la terre nourricière de tous les intrants nocifs et plus, toxiques, dont vous nous conseillez de nous protéger pour conserver notre bonne santé !