Méditations sur un lit d’hôpital

23/06/2019
Méditations sur un lit d’hôpital
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Être heureux ou malheureux à l’hôpital

 « Bip, bip, biiiiiiipp !!!»

Il est 1 h 10 du matin. Pour la troisième fois cette nuit, ma perfusion s’est bloquée.

Le tuyau s’est plié dans le mauvais sens et la machine s’affole.

Dès mon arrivée à l’hôpital (petit accident sportif), on m’a percé le dos de la main et enfoncé dans la veine un tuyau en plastique. « Au cas où il faudrait, en urgence, vous administrer un médicament. »

« Au cas où… » C’est l’argument définitif. Ce tuyau va donc m’accompagner partout pendant mon séjour, compliquant la toilette, les déplacements, les repas, l’habillement, et perturbant surtout mon sommeil. « Au cas où… »

Mais pour l’instant, cette perfusion est inutile. De l’eau, du glucose et un peu de sel, alors que je peux boire et manger normalement, et n’ai aucun problème d’hydratation.

Des pas claquent dans le couloir. La porte s’ouvre. L’infirmière de service allume les néons qui grésillent, et la chambre s’illumine comme en plein jour. « Tout va bien, Monsieur ? », claironne-t-elle. Elle appuie sur un bouton qui stoppe la sonnerie, et repart.

Maurice, mon voisin de chambre, ne réagit pas. Dort-il ? Il a l’air habitué. Sa perfusion sonne, elle aussi, toutes les 5 heures environ, quand la poche du réservoir est vide. Même sonnerie, mêmes néons qui s’allument, même aller-retour précipité de l’infirmière.

Je transpire. Je n’ai pourtant qu’un petit drap et cette chemise de nuit qui ressemble à un tablier. À travers les persiennes qui ferment mal, clignote la lumière bleue d’un gyrophare : les pompiers. J’imagine le grand blessé de la route qui arrive à cette heure-ci, garrotté dans une civière. Je pense à son conjoint, à ses parents, à ses enfants, à ses frères ou sœurs… Ces vies qui ont basculé cette nuit.

Ça y est, mon esprit tourne comme en plein jour. J’ai les yeux grands ouverts. La chambre est d’ailleurs bien éclairée par les diodes de la télévision, des appareils électriques, et la lumière allumée en grand dans le couloir.

Je ferme les paupières. M’apparaissent tous les malades, les blessés, qui essayent de dormir, cette nuit, dans cet hôpital, et dans tous les hôpitaux du monde.

Ce troupeau immense coupé de la société. Ceux que tout le monde a oubliés. Ceux qui y sont depuis des mois, des années, seuls avec leur souffrance. Ceux qui n’ont aucun espoir d’en ressortir.

« Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance. » Me reviennent ces mots de L’Enfer de Dante.

Qui, parmi tous ces malades qui sont avec moi, souffre le plus ?

Ceux qui sont en phase terminale ?

Peut-être pas, ils sont souvent abrutis par la morphine, et se disent que la fin est proche.

Ceux qui savent qu’ils en ont encore pour de longs mois ou années ? Oui, cela me paraît pire.

Et tous ceux qui sont immobilisés à l’hôpital, alors qu’ils auraient voulu sortir pour réparer des erreurs, et qui sont rongés par les remords…

Encore une fois, je pense à L’Enfer de Dante.

Ce livre a été écrit il y a plus de 700 ans, en Italie. C’est un très long poème considéré comme le plus grand chef-d’œuvre de la littérature mondiale, en rivalité seulement avec l’Iliade et l’Odyssée de Homère.

Dante est si admiré qu’on trouve des statues de lui dans le monde entier. Par exemple, celle-ci, qui se trouve à New York :

Le poète italien Dante Alighieri, qui a vécu il y a 750 ans, continue d’être vénéré dans le monde entier tant son œuvre, La Divine Comédie, a éclairé l’Humanité sur le sens de la vie.

Alors, qu’y a-t-il de si incroyable dans ce livre surgi du Moyen-Âge ? Comment se fait-il qu’on s’y intéresse encore à l’âge d’Internet, des manipulations génétiques et de la conquête spatiale ?

C’est que ce livre raconte le voyage imaginaire du narrateur qui se perd dans une forêt obscure. Là, il rencontre Virgile (un poète latin), qui l’emmène visiter l’enfer.

Mais il ne s’agit pas d’un enfer imaginaire peuplé de diablotins.

C’est une description scientifiquement et psychologiquement très exacte de nos vies, sur Terre, lorsqu’elles se transforment en quelque chose ressemblant à l’enfer : enfer de la violence, enfer de la haine, enfer de la solitude, enfer de la guerre, enfer de la tromperie, etc.

Dante analyse toutes les façons qu’il y a de souffrir, et il les classe. Il définit ainsi neuf cercles, par ordre de gravité dans la souffrance.

Ainsi, par exemple, dans le deuxième cercle, on trouve les personnes qui se sont laissées entraîner par leur passion amoureuse, et qui en souffrent.

On y rencontre Cléopâtre, dont on sait que les amours avec César et le général romain Antoine lui ont causé beaucoup de souffrances, jusqu’à la pousser au suicide en se faisant piquer exprès par un aspic (cobra égyptien) à la poitrine. On y trouve aussi Pâris et Hélène, dont l’attirance réciproque déclencha une catastrophe : la guerre de Troie. Hélène finira étouffée dans son bain et son cadavre suspendu à un arbre. Pâris, son amant, sera massacré. Sa ville, Troie, sera rasée.

Dans le cercle n° 3, un peu plus douloureux donc, on trouve les personnes à qui des malheurs sont arrivés à cause de leur gourmandise et de leur goût excessif pour la boisson. On trouve dans ce cercle Cerbère, le chien à trois têtes qui montait la garde à l’entrée des enfers, puni parce qu’il ne mangeait que de la viande vivante, et qui se fit piéger plusieurs fois par des gâteaux au miel contenant des drogues.

Et ainsi de suite… Dante passe en revue les catastrophes, les malheurs, la souffrance que les hommes éprouvent parce qu’ils ont dépensé tout leur argent par étourderie (cercle n° 4), parce qu’ils se sont mis en colère et se sont empoisonné la vie par la rancune (cercle n° 5).

Leurs vies sont de plus en plus insupportables au fur et à mesure que l’on passe les cercles.

Dans le cercle n° 7, ce sont les auteurs de crimes de sang. Attila, Alexandre le Grand et le tyran Denys de Syracuse, qui ont massacré physiquement des millions de personnes lors de leurs conquêtes inutiles. Adolf Hitler serait probablement dans ce cercle. Ils vivent dans des mondes de cris, de sang, de violence, de cadavres, qui paraissent vraiment horribles.

Dans le cercle n°8, ce sont les menteurs, les fraudeurs, les voleurs, tous ceux qui profitent de la bienveillance des autres. Dans le cercle n°9 enfin, ce sont les traîtres, comme Brutus (qui tua César qui, pourtant, l’avait adopté), Judas et Lucifer lui-même. Ce sont ces personnes à qui vous tendez la main pour les tirer hors de l’eau, et qui vous l’attrapent pour vous tirer et vous noyer avec elles. Elles ne se contentent pas de haïr leurs ennemis, elles nuisent même à ceux qui leur veulent du bien. Dante les représente, non dans des marmites bouillantes, mais gelées, immobilisées dans un bloc de glace qui symbolise leur isolement éternel et le froid glacial d’une vie sans amitié.

Ces réflexions sur les différents types de souffrances ont inspiré énormément d’artistes, qui ont essayé de peindre des scènes de l’Enfer de Dante. Vous trouvez, par exemple, ce tableau dans le grand hall du musée d’Orsay à Paris. On voit Dante lui-même à gauche en rouge, avec Virgile (qui porte des lauriers), contemplant un homme enragé qui mord l’autre à la gorge.


Mais comprenons bien ce que signifie l’Enfer de Dante. Ces personnes qui souffrent dans les différents cercles de l’Enfer, elles ne représentent pas que les autres, les « méchants ». Elles nous représentent nous-mêmes, dans les différents aspects de nos vies.

Dante n’a pas mis, dans son « Enfer », les souffrances causées par les maladies ni les accidents.

Il n’a mis que les souffrances que nous provoquons, volontairement, dans notre vie et dans celle des autres. Comme si c’était cela, en fait, le pire qui pouvait nous arriver.

C’est en pensant à cela que j’ai fermé les yeux. Mais je me suis réjoui de n’être à l’hôpital que pour deux jours !!

À votre santé !

Jean-Marc Dupuis

 

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Dominique
Dominique
4 années plus tôt

L’autre jour, ou plutôt, en début de nuit, je prends mon travail dans le service de chirurgie où je suis infirmier, après les transmissions, quelques préparations, je vais voir le premier patient, opéré d’une cholécystectomie par cœlioscopie l’après-midi…., je frappe doucement, je n’allume pas la lumière, celle du couloir qui passe un peu par la porte suffit, je parle doucement au patient, fais quelques soins de surveillance…. “vous avez bu un peu, vous n’avez pas de nausées …, on peut retirer la perfusion alors, je vous laisse le cathéter avec un bouchon, en cas de besoin, ça sera plus facile… Lire la suite »

Françoise
Françoise
4 années plus tôt

M. Dupuis, vous contez les choses d’ une manière très drôle mais juste et vrai, vous avez décrit en quelques lignes un séjour à l’hôpital… c’est exactement ça ! c’est vraiment ça ! … l’enfer de Dante…… on peut dire aussi que l’enfer c’est les autres……. Le plus difficile dans la vie est de supporter son prochain ! mais on doit l’aimer…. là c’est dur, surtout quand il s’agit de son voisin dont le chien aboie du matin au soir avec quelques arrêts pour reprendre son souffle. Oui…. l’enfer c’est l’autre ! Prompt rétablissement Cher Monsieur Dupuis.

Nicolle Tanguy
Nicolle Tanguy
4 années plus tôt

et oui c’est la plus grande coincée entre le mur et le plafond , j’ai expérimenté les 2 (infirmière et patiente(cela porte bien son nom) une chute et votre vie bascule en plus pas de portable et tout va si vite on voudrait remonter le temps par des si……;si une expérience de pus sur cette TERRE ou il faut apprendre à se taire surtout sur un lit d’hôpital , anonyme un numéro de chambre ou je viens voir le tibia , le fémur me disait ce chirurgien quand j’étais en poste , alors vivre pleinement l’instant présent lal base de… Lire la suite »

Jean-Paul G
Jean-Paul G
4 années plus tôt

Merci mais… encore ce point Godwin ! Chez vous ? Pas possible.
Hitler ? Et pas Staline ou Mao, qui eux ont réellement voulu et programmé d’immenses massacres. Il serait bon d’étudier Vincent Reynouard, qui rétablit des vérités certaines, historiques.

Danièle
Danièle
4 années plus tôt

Bonjour, Monsieur, Je pense que vous êtes à présent sorti de l’hôpital et que votre problème de santé a été au mieux résolu. Je ne peux que vous souhaiter un prompt rétablissement et une convalescence des plus tranquilles. Cet arrêt obligé dans votre vie vous a amené à méditer sur le sort des pauvres humains que nous sommes dans un univers peuplé de bien d’autres êtres vivants dont nous commençons seulement à faire cas. Vous avez médité sur la « Divine Comédie » du Florentin Dante Alighieri, orphelin jeune, condamné en janvier 1302, dépouillé de ses biens, proscrit comme cela… Lire la suite »

VIGOUROUX
VIGOUROUX
4 années plus tôt

Je redoute beaucoup l’hôpital, je suis nosocomophobe, et le contenu de ce que je viens de lire renforce mon opinion. Oui, pour moi, ce serait l’enfer de Dante. Ces jours-ci c’est l’enfer de la canicule à Paris. Restons positifs en espérant que nous n’en n’aurons pas d’autre et que celle-ci ne durera pas plus d’une semaine et ce sera encore de trop.

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